Rapport Commission portant mise en accusation de Ismaila Madior Fall devant la haute cour de justice
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Monsieur le Président,
Messieurs les Ministres,
Chers Collègues,
La Commission des Lois, de la Décentralisation, du Travail et des Droits humains s’est réunie le vendredi 02 mai 2025, sous la présidence de Monsieur Abdoulaye TALL, Président de ladite Commission, à l’effet d’examiner le projet de résolution portant mise en accusation devant la Haute Cour de Justice de Monsieur Ismaïla Madior FALL, ancien Ministre de la Justice, Garde des Sceaux.
Ouvrant la séance, Monsieur le Président a précisé que les membres de l’Assemblée nationale faisant partie de la Haute Cour de Justice ne prennent part ni aux débats, ni au vote sur la mise en accusation, conformément aux dispositions de l’article 18 de la loi organique n° 2002-10 du 22 février 2002 sur la Haute Cour de Justice.
À cet égard, il a rappelé les huit (08) collègues, membres titulaires de cette Haute Cour, à savoir :
- Monsieur Alioune NDAO ;
- Madame Ramatoulaye BODIAN ;
- Monsieur Youngare DIONE ;
- Monsieur Amadou BA n°2 ;
- Madame Rokhy NDIAYE ;
- Monsieur Mouhamed Ayib Salim DAFFE ;
- Madame Daba WAGNANE ;
- et Monsieur Abdou MBOW.
Concernant les huit (08) membres suppléants, il s’agit des collègues suivants :
- Monsieur Samba DANG ;
- Madame Oulimata SIDIBE ;
- Monsieur El Hadj Ababacar TAMBEDOU ;
- Madame Fatou DIOP CISSE ;
- Monsieur Mouramani Kaba DIAKITE ;
- Madame Marie Hélène Ndoffène DIOUF ;
- Monsieur Mayabé MBAYE ;
- Madame Fatou SOW.
Monsieur le Président a, ensuite, informé que le Président de l’Assemblée nationale a été saisi par Monsieur Ousmane DIAGNE, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux par lettre en date du 14 avril 2025 ayant pour objet la poursuite pénale à l’encontre de Monsieur Ismaïla Madior FALL, ancien Ministre de la République.
Cette correspondance a fait état d’une enquête qui a été conduite par la Division des Investigations criminelles (DIC) relativement à des malversations commises sur une partie de l’assiette foncière initialement affectée au projet de construction du palais de justice de Pikine-Guédiawaye. Ladite enquête a révélé une implication de l’ancien Ministre de la Justice, Garde des Sceaux Ismaïla Madior FALL dans des faits présumés de corruption et de concussion.
En effet, le Directeur des Constructions du Ministère de la Justice à l’époque des faits, entendu par les enquêteurs, a précisé qu’une surface de 2 075 m² était réservée à la construction du centre de surveillance électronique, tandis qu’un terrain de 8 800 m² avait été attribué au promoteur immobilier, chargé de la construction de l’infrastructure.
Le Directeur a soutenu avoir été sollicité par le Ministre de la Justice Ismaïla Madior FALL, qui lui avait demandé de trouver un promoteur immobilier capable de lui réaliser des projets d’utilité publique sur la partie inoccupée de la surface attribuée au palais de Justice Pikine-Guédiawaye. Poursuivant, le Directeur affirma que le Ministre avait privilégié, pour le règlement des prestations offertes par le promoteur immobilier, la dation en paiement.
Entendu par les enquêteurs, le promoteur immobilier, a indiqué avoir été convaincu par le Directeur des Constructions qui l’a conduit au bureau du Ministre où ils ont tenu une réunion tripartite à l’issue de laquelle deux accords ont été conclus :
- la construction d’un centre d’accueil pour enfants à Liberté 6. La superficie de 373 m² devrait abriter le bâtiment dont les coûts étaient estimés à 375 000 000 FCFA. En guise de paiement, le promoteur allait recevoir en dation un terrain d’une superficie de 1000 m² situé dans la même zone ;
- l’édification d’un centre de surveillance électronique pour une valeur de 576 460 571 FCFA et, en contrepartie, une superficie de 9 430 m² faisant partie du TF 01/GW a été allouée au promoteur à titre de paiement.
Le promoteur a, à cet effet, révélé avoir exigé l’établissement du bail à son nom, car le Ministre lui avait réclamé la somme de 250 000 000 FCFA pour lui attribuer le marché.
Il a ajouté avoir été rappelé quelques jours plus tard par le Ministre qui l’invitait à se rapprocher du Gouverneur de Dakar et du Directeur des Domaines d’alors pour l’établissement dudit document qui lui a été remis en juin 2023.
Il a également affirmé que toutes les démarches en vue de l’obtention du bail avaient été accomplies par le Ministre de la Justice et le Directeur des Constructions.
S’expliquant sur le retard accusé dans le démarrage des travaux de construction des deux bâtiments susmentionnés, le promoteur a évoqué, d’une part, une absence d’autorisation de construire et, d’autre part, un désaccord avec le Ministre qui, dès la réception d’un acompte de 50 000 000 FCFA, ne cessait de lui mettre la pression pour le versement du reliquat de 200 000 000 CFA, alors qu’en ce moment le bail n’avait pas encore été établi.
Il a soutenu que le refus de solder le reliquat aurait conduit l’ancien Garde des Sceaux à mettre un terme aux accords convenus.
Ainsi, selon l’article 101 de la Constitution : « Le Premier ministre et les autres membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis. Ils sont jugés par la Haute Cour de Justice. ».
Par ailleurs, en vertu de l’article 17 de la loi organique n° 2002-10 du 22 février 2002 sur la Haute Cour de Justice, la résolution de l’Assemblée nationale votée dans les conditions prévues à l’article 101 de la Constitution et portant mise en accusation devant la Haute Cour contient les prénoms, les noms et fonctions des accusés, l’énoncé sommaire des faits qui leur sont reprochés et, dans les cas prévus à l’alinéa 2 de l’article 101 de la Constitution, le visa des dispositions législatives en vertu desquelles est exercée la poursuite.
À l’issue de l’enquête de police portant sur l’assiette foncière affectée au Ministère de la Justice pour la construction du Tribunal de Grande Instance de Pikine-Guédiawaye, des présomptions graves et concordantes de corruption passive et de concussion pèsent sur l’ancien Ministre Ismaïla Madior FALL, faits prévus et punis par les articles 156, 157, 159 et 160 du Code de Procédure pénale.
Sous le bénéfice de ces considérations, Monsieur le Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, sollicite, conformément aux dispositions citées ci-dessus, sa mise en accusation devant la Haute Cour de Justice.
Prenant la parole, certains Commissaires ont regretté l’absence du Ministre de la Justice Ousmane DIAGNE qui devait prendre part aux travaux afin de répondre aux interpellations des députés. Selon eux, la demande transmise par le Garde des Sceaux semble être légère puisqu’elle s’est fondée sur de simples dénonciations de faits présumés de corruption émanant d’une tierce personne qui se révèle être le corrupteur.
Parallèlement, ils ont soutenu que, compte tenu du fait que la convocation de la Commission des Lois, de la Décentralisation, du Travail et des Droits humains a pour objet l’examen du projet de résolution portant mise en accusation, il fallait, non seulement, mettre à la disposition des Commissaires ledit texte en mentionnant tous les faits reprochés à l’ancien Ministre, mais également l’ensemble des documents y relatifs.
En revanche, d’autres Commissaires se sont félicités de cette procédure qui s’inscrit en droite ligne de la bonne gouvernance. Ils ont, dans ce sens, indiqué que l’Assemblée nationale est parfaitement habilitée à la mettre en œuvre, conformément aux textes en vigueur.
Ils ont, en outre, indiqué que, selon les déclarations relatées dans la demande transmise à l’Assemblée nationale, l’ancien Ministre Ismaïla Madior FALL est bel et bien impliqué. D’ailleurs, ce dernier s’est déjà exprimé à travers une chaîne de télévision privée et n’a pas nié les faits reprochés.
Ils ont également fait savoir que l’analyse attentive du dossier concernant le mis en cause laisse apparaitre, au-delà des faits de corruption passive et de concussion, d’autres chefs d’accusation susceptibles d’être visés, comme la tentative d’escroquerie, le blanchiment de capitaux, l’extorsion de fonds, la corruption, l’association de malfaiteurs, la prise illégale d’intérêt, la tentative d’extorsion de fonds et de corruption.
Par ailleurs, dans le souci de permettre aux Commissaires de mieux comprendre cette procédure de mise en accusation, il a été demandé de faire le rappel historique de la Haute Cour de Justice.
En réponse aux différentes interpellations exprimées, Monsieur le Président Abdoulaye TALL a, d’emblée, fait un rappel historique succinct de la Haute Cour de Justice et du cadre juridique qui régit son fonctionnement et son organisation.
Il a, ensuite, tenu à préciser qu’à ce stade de la procédure, aucun texte n’oblige la présence du Ministre de la Justice, Garde des Sceaux à l’Assemblée nationale pour prendre part aux travaux. Il a également indiqué que la demande transmise par le Ministre de la Justice, Garde des Sceaux ne s’est pas fondée sur de simples dénonciations comme précédemment allégué. Par contre, elle s’est fondée sur une enquête conduite par la Division des Investigations criminelles qui a révélé une implication de l’ancien Ministre de la Justice, Garde des Sceaux Ismaïla Madior FALL dans des faits présumés de corruption passive et de concussion.
À ce niveau, il a fait savoir qu’il appartient à l’Assemblée nationale de retenir la qualification juridique des faits reprochés, conformément à la loi organique sur la Haute Cour de Justice précitée. En conséquence, l’Assemblée nationale a la latitude de retenir de nouveaux faits contre le mis en cause.
Enfin, Monsieur le Président a procédé à la lecture du projet de résolution concernant l’ancien Ministre de la Justice, Garde des Sceaux Ismaïla Madior FALL. Ledit projet est annexé au présent rapport.
À la suite de ce qui précède, les membres de la Commission des Lois, de la Décentralisation, du Travail et des Droits humains ont adopté, à la majorité, le projet de résolution portant mise en accusation devant la Haute Cour de Justice de Monsieur Ismaïla Madior FALL, ancien Ministre de la Justice, Garde des Sceaux. Ils vous demandent d’en faire autant, s’il ne soulève, de votre part, aucune objection majeure.